Nous sommes vendredi 04 novembre 2022, date à laquelle nous effectuons notre visite à Kanyarushinya, ce site qui accueille des milliers des déplacés de guerre en provenance de Rutshuru, depuis la reprise des affrontements entre les FARDC et les rebelles du M23, il y a environ une semaine.
Nous sommes curieux de palper la réalité de ce qui se passe dans ce camps par rapport à tout ce raconte autour de la vie des déplacés là-bas.
Il est 10h passé à Goma, sous un soleil un peu accablant, lorsque moi et le motard qui me transporte, quittons la ville, pour le territoire de Nyiragongo.
Notre itinéraire part de l’entrée président.
À environ 20 minutes de route, nous sommes dans le territoire de Nyiragongo. Après avoir traversé la station Kihisi, nous entamons l’axe-routier Goma Rutshuru, qui nous mène droit vers Kanyarushinya.
De la vie à la survie
Dix minutes ne sont atteintes pour que nous découvrions les premières tentes des déplacés, installées de part et d’autres de la route.
Plus on avance, plus en en découvre davantage.
Les tentes sont tellement nombreuses, synonyme d’un surpeuplement énorme de la population. Des sources de la société civile estiment à plus de 50 000, l’effectif de ces déplacés depuis la reprise des affrontements.
Si certaines de ces tentes sont construites en bâches usées, en herbes, en pagne ou en sachets, d’autres sont couvertes uniquement des morceaux des moustiquaires. Comment une moustiquaire, dont le tissu est totalement troué pourrait protéger la personne qui réside à l’interieur de cette tente?…nous interrogeons-nous avec le motard. « C’est grave ce qui se passe ici mon cher » réagit mon compagnon de route.
Il est presque 11h quand nous arrivons à la barrière de Kanyarushinya. Je descends de la moto et poursuis ma visite. Juste à côté j’aperçois les restes des véhicules de la MONUSCO dernièrement incendiés par les déplacés. On raconte que les déplacés auraient posé cet acte après avoir soupçonné les agents de la mission onusienne d’être en connivence avec les rebelles. Un jour plutôt, le Gouverneur de Province était dans la zone pour calmer la tension, demandant aux déplacés « de ne pas se laisser distraire par des rumeurs inutiles, de se concentrer sur l’essentiel, et surtout de réactiver la vigilance en cette période où l’ennemi est à la porte, de faire tout pour ne pas lui donner l’occasion de s’infiltrer ».
La misère parle d’elle-même
Avançant petit à petit dans le camps, je trouve des gens dans multiples occupations. Les uns construisent encore des tentes, d’autres font des attroupements devant les véhicules des ONG demandant de l’aide, d’autres font une longue fil au niveau des tanks d’eaux installées dans la zone par les ONG, pour chercher de l’eau; d’autres encore exercent des petits commerces, etc.
Poursuivant ma visite, je m’arrête devant la tente en construction d’un des déplacés, avec qui j’essaie d’échanger.
« Je m’appelle Héritier Benzema, je viens de Tshengerero. » me dit-il après ma présentation auprès de lui, m’identifiant comme journaliste.
« Je suis père de 6 enfants, mais je suis ici avec un 7ème enfant que j’ai trouvé égaré pendant la fuite et que j’ai emmené avec moi. » poursuit-il.
-Moi: Je vous trouve en plein travail de construction d’une tente, et vous le faites à l’aide de sachets et de morceaux de moustiquaires, pensez-vous que cela pourrait vraiment vous protégez contre les intempéries ?
-lui: « Je n’ai pas le choix Monsieur le journaliste. Ici on se débrouille comme on peut. Je construis juste ce petit truc dans lequel je peux me reposer au lieu de silloner ça et là. Aumoins ici j’aurai une adresse, j’aurai où m’allonger de temps en temps. »
C’est au moment de mes échanges avec Héritier que d’autres déplacés me repèrent et beaucoup viennent vers moi.
« Mutusemeye kule papa Journaliste. Tunateseka sana uku » ( « Allez plaider pour nous chèr journaliste, nous souffrons tellement ici »), insistent plusieurs d’entre eux quand ils me voyent.
« Nous n’avons absolument rien ici, nous avons fui de chez nous sans rien emporté. Nous manquons tout. Nous n’avons ni à boire, ni à manger, moins encore de vêtements.. » m’explique Mutabazi Robert, déplacé en provenance de Rugari; répondant à ma question de savoir quels sont les besoins prioritaires dans ce camps.
Et à Madame Espérance, la soixantaine révolue, de compléter:
« Nous sommes au point de nous casser les dos suite aux conditions dans lesquels nous passons nuit dans ces salles de classe. Nous dormons à même le sol. Aux personnes de bonne volonté, nous leur implorons de nous apporter des matelas ».
« Nous autre, nous dormons à l’extérieur. Nous avons besoin des bâches pour la construire des tentes où passer nuit. Qu’on nous aide aussi avec des casseroles, des gobelets et autres instensils de cuisine. Nous avons tout laisser pendant la fuite. De fois on manque même où mettre la petite aide qu’on nous donne… » ajoute pour sa part Sebishimbo Gato, un autre déplacé.
Plusieurs autres qui se livrent à nous évoquent les mêmes problèmes, la plupart insistant sur le besoin de nourriture.
L’aide qui arrive des humanitaires déployés dans la zone, ndiquent-ils, est tellement insuffisante par rapport à notre effectif. « plusieurs d’entre nous n’y accèdent pas ».
La disparition des proches
Au-delà de toute la souffrance qu’ils traversent dans ce camps, plusieurs parmi ces déplacés vivent dans l’angoisse d’avoir perdu les traces de leurs proches durant le déplacement.
Sur sept personnes interviewées, quatre affirment être sans nouvelle de leurs membres de familles depuis la fuite.
« Moi j’ai manqué un de mes enfants depuis le jour de la fuite…Nous étions réveillés ce jour-là, nous avions trouvé des hommes armés à l’extérieur de nos maisons. Ça tirait partout. Au même moment qu’on les avait vu, c’est au même moment que notre fuite avait commencé. Celui qui avait de la chance, avait fui avec son enfant. Le mien je ne l’ai plus revu depuis ce jour-là. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé… » indique une dame presque avec larmes aux yeux.
De son côté Monsieur Mutabazi Robert, dit être sans nouvelles de son épouse et de ses deux enfants depuis la fuite.
« Ils étaient restées derrière au moment de la fuite », regrette-t-il. « Je n’ai aucune nouvelles d’eux depuis ce jour-là, vu que personne n’a de téléphone.Je prie Dieu de les protéger où ils qu’ils se trouvent ».
Monsieur Faustin, a également perdu son enfant, nous raconte-t-il hors micro, indiquant que plusieurs cas similaires sont nombreux dans ce cas.
La pluie, un autre calvaire
Il est presque 13h lorsque les orages de la pluie s’annoncent dans la zone. La grande question c’est où vont s’abriter ces gens…
Début de la pluie.
Au moment où je me débrouille à trouver où m’abriter, je tombe sur une connaissance qui travaille au couvent des prêtres de la paroisse de Kanyarushinya, qui m’y accueille. Je suis épargné ainsi de me mouiller par la pluie.
Sur place je continue à me demander comment se comportent toutes ces personnes restées à l’extérieur. Vont-ils s’abriter dans ces tentes à couverture trouées ? Où trouveront-ils l’abri chez leurs voisins qui détiennent des tentes correctement couvertes? Et s’ils y aillent, vont-ils convenir à l’interieur ? Autant des questions me tourmentent en ce moment. Je n’hésite pas de les partager avec l’ami du couvent.
Et celui-ci de répondre :
« En ce moment, plusieurs parmi ces gens seraient entrain d’être mouillés par manque d’abris…C’est grave ce qui se passe ici« .
-Et leurs enfants? (demande-je à l’ami)
-« Par moment le parent se lève dans la tente et couvre les enfants de telle façon qu’il se mouille seul, et que les enfants soient protégées », me répond-t-il.
Difficile de réagir en apprenant ces révélations. Je reste là à méditer et à attendre la fin de la pluie pour partir.
Au sortir de mon abris, je retrouve à nouveau les déplacés.
Les eaux stagnantes ont envahi les allés de leurs tentes. Les eaux ont même débordé jusqu’à atteindre l’intérieur des certaines tentes où je trouve les enfants entrain de les enlever.
Je trouve aussi plusieurs personnes totalement mouillées, ce qui pousserait à confirmer ce que l’on venait de me raconter tout à l’heure…
J’évite des interviews cette fois-ci. Je m’apprete à rentrer puisque mon heure de retour est déjà arrivé.
Je retourne ainsi à Goma, laissant derrière moi les déplacés du site de Kanyarushinya dans toute cette souffrance. C’est le début d’une grande méditation en chemin de retour: « Les auteurs de la guerre, ont-ils vraiment un coeur? Ont-ils une conscience tranquille quand ils tombent sur pareilles témoignages de ces milliers de personnes qui souffrent à cause d’eux ? Pour quelle fortune combattent-ils pour imposer une telle souffrance à des personnes innocentes? »
Si l’un des auteurs de la guerre ou un des leurs complices ; ayant encore la conscience, tombait sur ce texte, je l’invite à méditer sur ces questionnements, à méditer sur la souffrance que son action occasionne à des milliers de personnes innocentes,…
Heureusement qu’il existe encore des « personnes généreuses sur terre » Grâce auxquelles ces déplacés, qui ont tout perdu, n’ont pas perdu espoir. Ils gardent quand-même l’espoir d’un sourire et d’une vie heureuse grâce à toutes » les bonnes personnes » qui passent les visiter et les assister, pour les réconforter. La plupart comprennent, même s’il est difficile, que la souffrance qui leur est imposée en ce moment n’est que passagère et qu’elle pourra prendre fin bientôt.
Emmanuel Barhebwa