L’ancien président du Zimbabwe, Robert Mugabe, alias « Comrade Bob », s’est éteint à l’âge de 95 ans. Pointé comme responsable de la déchéance économique de son pays, il avait été chassé du pouvoir par un coup d’État en 2017.
L’ancien président zimbabwéen Robert Mugabe, qui a dirigé d’une main de fer son pays de 1980 à 2017, est décédé à l’âge de 95 ans, a annoncé, vendredi 6 septembre, l’actuel chef de l’État, Emmerson Mnangagwa. « C’est avec la plus grande tristesse que j’annonce le décès du père fondateur du Zimbabwe et de l’ancien président, le commandant Robert Mugabe », a-t-il déclaré dans un tweet.
« Le
commandant Mugabe était une icône de la libération, un panafricain qui a dédié
sa vie à l’émancipation (…) de son peuple. Sa contribution à l’histoire de
notre nation et de notre continent ne sera jamais oublié. Que son âme repose en
paix », a-t-il ajouté. L’ancien chef de l’État est mort à Singapour, où il
avait
été soigné à plusieurs reprises ces dernières années, a indiqué une source
informée.
En novembre dernier, Emmerson Mnangagwa avait fait savoir que Robert Mugabe ne pouvait plus marcher, sans préciser de quoi souffrait son prédécesseur.
Trente années de règne
Robert Mugabe avait pris les rênes de l’ex-Rhodésie, devenue indépendante, en 1980. Lâché par l’armée et son parti, il a été contraint à la démission en 2017. Il a laissé un pays englué dans une profonde crise économique qui ne cesse d’empirer. Accusé d’avoir muselé l’opposition par la violence pendant 37 années de règne, pointé comme responsable de la déchéance économique de son pays, Robert Mugabe incarnait jusqu’à l’excès le rejet des anciens colons et de l’Occident, ces « Whites » (« Blancs ») qui revenaient à chacun de ses discours.
Né en 1924 dans une famille pauvre de ce qui était encore la Rhodésie du Sud, Robert Mugabe a eu une enfance plutôt solitaire, entouré de ses livres. Devenu instituteur, il part étudier en Afrique du Sud. C’est là qu’il s’initie au marxisme avec des membres de l’ANC (Congrès national africain), le parti anti-apartheid de Nelson Mandela.
Dix ans en prison
De retour dans son pays dans les années 1960, il milite aux côté du parti de l’Union national du Zimbabwe (Zanu) contre le régime blanc et raciste de Ian Smith. L’homme qui dirige le pays après en avoir unilatéralement proclamé l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni refuse de remettre le pouvoir à la population noire.
Un activisme que Robert Mugabe paie chèrement. En 1965, il est jeté en prison. Il y restera 10 ans. Du fond de sa geôle, un événement traumatisant va accroître son hostilité à l’égard des colons : en 1966, il perd son fils de 3 ans mais se voit refuser une sortie exceptionnelle pour se rendre à ses funérailles. Il ne le pardonnera jamais.
Des accents « mandelien »
À sa sortie, en 1973, il se réfugie au Mozambique, pays depuis lequel il continue à consolider son influence sur le Zanu. Il prend la tête de la Zanla, la branche militaire du Zanu, et y continue la guérilla contre le gouvernement. En 1980, après les accords de Lancaster, qui conduiront à l’indépendance de la Rhodésie, « Comrade Bob », qui n’a rien perdu de sa foi marxiste, devient Premier ministre. Il accède au statut de héros national.
Malgré sa haine des Blancs, Robert Mugabe prône une politique de réconciliation qui lui vaut l’amitié des pays occidentaux et de la reine Elizabeth II. Selon Jeune Afrique, il tiendra même un discours aux accents « mandelien » : « S’il vous plaît, restez avec nous dans ce pays pour former une nation fondée sur l’unité nationale ».
Du « grenier à blé » aux sécheresses
À cette époque, Robert Mugabe est à la tête d’un État riche, « le grenier à blé de l’Afrique australe ». L’économie du pays, nouvellement baptisé Zimbabwe, est au beau fixe du fait de ses ressources céréalières. L’éducation vient parfaire le tableau : 90 % de la population sait lire et écrire, un record sur le continent.
L’idylle est si parfaite entre les Britanniques et Robert Mugabe que les Occidentaux fermeront les yeux sur les massacres de 1983, pourtant un signe criant de la dérive autoritaire du « Comrade Bob ». Des documents historiques récemment déclassifiés tendent à prouver l’implication de Robert Mugabe dans le carnage de Gukurahundi, au cours duquel 20 000 civils furent assassinés au mois de janvier dans le sud du pays. Tous faisaient partie de la population Ndebele, accusée par le gouvernement de soutenir une rébellion opposée au régime. Malgré les documents, Robert Mugabe nie toute sa vie avoir participé au massacre.
Expropriation des fermiers blancs
L’Occident reste sourd et aveugle aux exactions commises au Zimbabwe. Dix ans après le massacre, le héros anti-colonial est anobli par la monarchie britannique – titre qui lui sera retiré en 2008 par la reine Elizabeth. Les pays occidentaux ne pourront pas longtemps détourner le regard. Dans les années 1990, frappé par plusieurs sécheresses, le grenier à blé du continent se porte beaucoup moins bien. La grogne sociale gagne du terrain, l’opposition aussi, soutenue par la nouvelle génération. Le régime de Mugabe, menacé, se lance dans une vaste répression. Des journalistes et militants sont emprisonnés.
En 2000, il perd le référendum constitutionnel qui devait lui permettre de se représenter à la présidence du pays. Acculé, il développe une paranoïa à l’égard des Blancs qu’il rend responsables de sa défaite et qu’il pense acquis à la cause de l’opposition du Mouvement pour le changement démocratique (MCD). Robert Mugabe sort alors de ses cartons un vieux projet de redistribution des terres évoqués lors de l’indépendance, mais jamais concrétisé. Il confisque les terres de 4 000 fermiers Blancs, qui possédaient 70 % du terrain arable du pays, pour les donner notamment à des familles rurales pauvres.
Un bilan économique catastrophique
Cette politique a eu des conséquences économiques catastrophiques. La plupart des bénéficiaires de cette politique de redistribution, soutiens du pouvoir, n’avaient pas les connaissances requises pour travailler la terre. Le rendement des exploitations a dégringolé après la réforme agraire, et le pays, qui participait auparavant à l’approvisionnement du Programme alimentaire mondial, est devenu tout à coup dépendant de l’aide alimentaire de l’ONU pour nourrir l’équivalent d’un quart de sa population.
L’inflation est si forte qu’elle n’est même plus chiffrable, certains économistes estimant le taux de chômage à 94 % fin 2007. Dans les supermarchés, les rayons sont vides, trouver des denrées de bases relève alors de l’exploit.
Malgré un bilan économique catastrophique, une politique de répression toujours plus violente envers ses opposants, Robert Mugabe dispose de forts soutiens chez les Zimbabwéens. « Mugabe [était] populaire chez une grande partie de la population, notamment chez les personnes âgées qui ont vécu la période de la guerre qu’a menée Robert Mugabe pour la décolonisation du Zimbabwe, expliquait en 2013 à France 24 Emmanuel Goujon, fondateur de la société de conseils Africa Global Approach. Il ne faut pas oublier qu’il a été un héros africain dans les années 1980, qu’il a mené son pays à l’indépendance et à la fin d’une situation d’apartheid où la minorité blanche dominait la majorité noire. Et ça, c’est resté dans les mémoires des gens ».
Des provocations anti-impérialistes aux discours homophobes
Il est néanmoins lâché par les Occidentaux. En 2002, alors que Robert Mugabe est réélu à la tête du pays, les pays observateurs dénoncent des fraudes. Les sanctions américaines et européennes pleuvent sur le pays. Même scénario en 2008, quand le candidat de l’opposition (MCD), Morgan Tsvangirai, est obligé de se retirer de la course présidentielle pour ne pas plonger le pays dans une guerre civile. Ce dernier était en tête au premier tour.
Mais sanctionné ou pas, Robert Mugabe n’a jamais changé de cap. En janvier 2015, nouveau pied de nez aux Occidentaux : il est nommé président de l’Union africaine. Cette nomination a suscité un certain embarras dans les rangs de l’organisation panafricaine. Des diplomates ont en effet évoqué un « hasard malheureux » et une règle impossible à contourner offrant, à tour de rôle, la présidence de l’UA à chaque grande région africaine.
Depuis des années, il a multiplié provocations et tirades incendiaires contre les « impérialistes ». Il a aussi mené un combat très personnel contre l’homosexualité dans son pays. En septembre 2015, il a déclenché l’hilarité aux Nations unies après avoir déclaré à la tribune que les Zimbabwéens n’étaient pas gays. « Comrade Bob », n’a pas non plus hésité à dépenser des sommes indécentes pour chacune de ses fêtes d’anniversaire.
Acculé à la démission en 2017
En février 2016, le montant des agapes organisées pour ses 92 ans ont atteint les 800 000 dollars. Conscient que chaque festin était scruté à la loupe, le régime vieillissant de Mugabe semblait chaque année faire toujours plus dans la démesure. Comme un perpétuel pied de nez aux puissances occidentales, auxquelles le président zimbabwéen n’a jamais manqué d’envoyer des piques.
« Le Zimbabwe à genoux »
En octobre 2017, Robert Mugabe limoge son vice-président Emmerson Mnangagwa, sous la pression de son influente et ambitieuse épouse Grace, qui s’invite dans la course à sa succession. C’est l’erreur fatale. L’armée le lâche. Son parti, la Zanu-PF, et la rue également. Le plus vieux chef d’État en exercice de la planète, longtemps considéré indéboulonnable, est acculé à la démission le 21 novembre 2017. Il a 93 ans.
Il dénoncera plus tard un « coup d’État » et, plein de ressentiment, appellera à demi-mots, à la veille des élections générales de 2018, à voter pour l’opposition. « Il fut un formidable dirigeant dont le pouvoir a dégénéré au point de mettre le Zimbabwe à genoux », résume Shadrack Gutto, professeur à l’Université sud-africaine Unisa.
France 24 Avec AFP