Martin Fayulu, candidat malheureux à la présidentielle de décembre 2018, continue de contester les résultats publiés par la CENI et validés par la cour constitutionnelle. Pendant que la légitimité de Félix Tshisekedi continue ses conquêtes au Congo et en Afrique, Fayulu reste déterminé à réclamer la « vérité des urnes ». Nombreux des politiciens, s’inspirant peut-être du discours de Joseph Kabila la veille de l’investiture de Félix Tshisekedi qui prônait la coalition, réajustent la main tendue par Felix Tshisekedi à Martin Fayulu lors de son discours d’investiture.
Alors qu’il vient de terminer sa première tournée en Afrique en tant que président élu et investi de la RDC, petit à petit, Félix Tshisekedi semble prendre de l’envol dans sa présidence et se conférer une légitimité tant nationale qu’internationale. Lors du 34e sommet de l’Union africaine auquel il prend part depuis le week-end, Félix Tshisekedi vient d’être élu deuxième vice-président de l’Union africaine après Cyril Ramaphosa, premier vice-président et l’égyptien Abdel Fatah Al Sissi, président de l’Union africaine en remplacement de Paul Kagame. Dans son discour, le président congolais a rendu hommage à ses homologues, loué l’alternance politique « mettant en garde » ceux qui soutiennent les groupes armés dans son pays tout en annonçant être disponible de coopérer avec les « partenaires qui veulent faire affaire au Congo. Il a aussi rendu hommage à Moussa Faki, président de la commission de l’Union africaine lui promettant son soutien. Quelques jours avant, le patron de la commission de l’Union Africaine s’était déjà exprimé pour rassurer la RDC de son accompagnement afin de « consolider ses acquis ». Ces propos de Moussa Faki, lors de la rencontre des ministres des affaires étrangers africains, avaient mis préalablement du baume sur le cœur du nouveau président congolais dont la légitimité ne cesse d’être contestée par Martin Fayulu son rival des élections du 30 décembre qui revendique la victoire des élections avec 60% de vote.
A quelques jours de l’ouverture du 38e sommet de l’Union Africaine, Fayulu a saisi la cour africaine des droits de l’homme, pour que, selon le secrétaire général adjoint du Mouvement de Libération du Congo, Fidèle Babala, cité par le soir.be, leurs droits soient reconnus et que Fayulu soit réinvesti dans sa position initiale qui est celle de la présidence de la République, une requête qui, au regard de ce qui précède pourrait avoir peu de chance d’aboutir. Profitant de la session de l’Union africaine à Addis-Abeba, Fayulu a écrit aux chefs d’Etats africains pour leur proposer l’éventualité de réorganiser les élections dans un délai de six mois. Il a demandé à ce qu’il y ait la création d’un comité spécial de l’Union africaine pour la vérification de « la vérité des urnes » en RDC. Dans cette correspondance adressée à l’Union africaine, Fayulu dénonce la CENI d’être complice d’une machination qui cherche à « pérenniser le système de Kabila » tout en regrettant que la mission de l’Union africaine prévu à Kinshasa n’ait pas pu être organisée. Fayulu, va-t-il lâcher prise ?
Il va sans dire que cette situation risque de plonger la RDC dans une crise qui pourrait être similaire à celle qui prévaut actuellement au Venezuela. Martin Fayulu d’ailleurs y avait fait allusion lors de son meeting dernier à la place Sainte Thérèse lorsqu’il a invité la communauté internationale à « ne pas le laisser tomber ». Fayulu a invité ses partisans à une « résistance pacifique » et a promis faire une tournée dans toutes les provinces pour continuer à revendiquer sa victoire. Une promesse qu’il compte bien tenir puisqu’il a annoncé que le vendredi 15 février prochain il fera un meeting dans la ville de Goma au Nord-Kivu.
Ce n’est pas tout. En réponse à Félix Tshisekedi qui a affirmé mardi à Luanda que Martin Fayulu n’avait pas apporté les preuves de sa victoire, Martin Fayulu a demandé à la CENI de donner les preuves de la victoire de celui-ci. Lors de son discours du 24 janvier 2019, le leader de l’UDPS avait fait un hommage particulier à Fayulu et lui avait tendu la main comme pour dire qu’il était prêt à travailler avec lui. Même si ce dernier qualifie cette main de « sale », il affirme toutefois ne pas être ennemi au nouveau président investi. D’ailleurs les accolades qu’ils se sont donnés à leur église Philadelphie le dimanche dernier ont donné une autre tournure au puzzle. Que voulait-il dire en réalité par « tendre la main » à Fayulu ? Jusqu’où est-il prêt à aller pour stopper l’hémorragie de ses contestations ? D’aucuns pensent que lui qui se veut un pacifiste devrait à tout prix éviter un nouveau chaos politique dans le pays en chantier qu’il vient d’hériter après une si longue lutte. Les actions qu’il a posées à seulement deux semaines de son investiture laissent explorer un nouvel espoir pour le Congo spolié. Mais Fayulu qui ne se tient pas pour battu, avec ses multiples contestations, n’est-il pas nul autre que du sable dans les bottes de son nouveau gouvernement ? Jusqu’où lui aussi il est prêt à aller, lui qui, après le rejet de sa requête par la cour constitutionnelle a décidé de saisir la cour africaine des droits de l’homme et aujourd’hui lancer un appel de soutien à tous les chefs d’Etat réunis à Addis-Abeba ? Et s’il n’avait pas toujours gain de cause ? Fayulu ne veut-il pas aussi prendre part au gâteau ? Et s’il était nommé premier ministre ?
Alain Daniel Shekomba, est l’un de ceux qui s’en tiennent à cette théorie pour, semble-t-il, prévenir de futures « exactions ». Pour ce candidat malheureux à la présidentiel de décembre 2018 qui s’était retiré avant le scrutin du 30 décembre, sa proposition entre dans une « démarche républicaine consistant pour une paix durable, l’unité et la cohésion nationale ». Shekomba, oublie-t-il que le pouvoir de nommer un premier ministre ne revient pas vraiment au président élu qui n’a pas la majorité au parlement ? Et même si un accord devrait être trouvé entre les deux partis pour « bercer » Fayulu et le museler une bonne fois pour toutes, le partisan de Lamuka serait-il prêt à mettre fin à sa course au pouvoir « perdu » ?
La nomination d’un premier ministre et chef du gouvernement reste tant attendu en RDC. En vertu de l’article 78 de la constitution du 18 février 2006 tel que modifiée par la loi numéro 11/002 du 20 janvier 2011, le président de la République doit nommer un premier ministre au sein de la majorité parlementaire. L’article ajoute que « si une telle majorité n’existe pas, le président confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition ». Depuis la proclamation des résultats provisoires par la CENI, des doutes sons émis sur l’éventualité d’une majorité parlementaire au sein de l’assemblée nationale. Aucun parti ou regroupement politique ne peut prétendre aujourd’hui détenir la majorité au parlement, pense aussi, Me Eric Birindwa Nyamazi, avocat au barreau de Goma et chef de Travaux à la faculté de Droit de l’Université de Goma, dans une analyse partagée sur les réseaux sociaux. « Le Front commun pour le Congo compte à ce jour plus ou moins 350 députés nationaux mais cependant, il ne constitue pas un regroupement politique enregistré en bonne et due forme au Ministère de l’intérieur, c’est juste une plate forme électorale et la majorité qu’elle détient est virtuelle » Me Eric Birindwa trouve aussi la nécessité actuelle pour le président de la république de « designer un informateur qui aura pour mission de dégager la majorité parlementaire réelle d’où sortira le premier ministre et ce, conformément à l’article 78 de la constitution ».
Il est prévu que le président de la république se penche sur cette question à son retour d’Addis Abeba. Pour Alain Daniel Shekomba, nommer Fayulu comme premier ministre permet de mettre de l’eau dans le vin. « ‘Nous sommes dans une situation de crise. Les résultats des élections divisent. Je pense que pour pouvoir mettre en place une certaine cohésion et la paix dans le pays’ le président doit nommer ‘ Martin Fayulu comme premier ministre’ » a-t-il déclaré sur TopCongo FM cité par mediacongo.net. Alain Daniel Shekomba voudrait qu’une exception soit faite étant donné « qu’on sait tous comment ces élections ont été organisées, comment le pouvoir a été donné. Si tout était organisé dans le respect de la loi, Martin Fayulu ne serait pas en train de contester les résultats». « Cette proposition n’est pas constitutionnelle. La loi congolaise a déjà défini comment se désigne un Premier ministre » rappelle Jean-Baudouin Mayo, secrétaire général de l’UNC sur mediacongo.net. Il trouve que rien ne peut justifier une telle nomination « du moment où nous avons des institutions légitimes ».
Qu’en est-il de Lamuka ?
La coalition de Martin Fayulu n’est en rien d’accord avec une telle proposition qui pourrait écarter le combat légitime qu’il mène pour faire accepter la « vérité des urnes ». « Martin Fayulu ne peut accepter cette proposition, car c’est lui qui est le président élu et légitime » réplique le professeur Devos Kitoko, secrétaire général de l’Ecidé, sur mediacongo. Les partisans avancent qu’ils ne seraient pas prêts à accepter une telle proposition.
Qu’en pense l’opinion congolaise ? Y a-t-il lieu de retourner en arrière pour soit disant réclamer la « vérité des urnes » ? Que veut le peuple congolais à l’heure actuelle ? Faut-il se pencher sur un gouvernement d’union nationale qui pourrait faire participer tout le monde et écarter ainsi une potentielle crise ? Et si vraiment cette proposition d’Alain Daniel Shekomba devrait vraiment mise en examen ?
Patrick BASSHAM